« Les musulmans de France vivent un climat anxiogène malsain »

8:48 - December 03, 2018
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Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, s’exprime avec sagesse et modération sur tous les sujets relatifs à l’organisation et à l’exercice du culte musulman en France, des réformes que compte engager le gouvernement français ainsi que des perspectives d’unification des différentes organisations qui représentent l’islam en France.

Pour commencer Monsieur le Recteur, c’est l’islam de France ou l’islam en France ?
 Il faudrait être très précis. Pour qu’il y ait un islam de France, il ne faudrait pas oublier l’Histoire. Il faut d’abord savoir que l’islam s’est structuré par lui-même. Les musulmans n’ont pas besoin qu’on leur dise le nombre de prières quotidiennes, quand débute le ramadhan, etc.


Non l’islam est déjà structuré, il est même bien structuré. Il ne peut y avoir un islam de tel ou tel pays. L’islam est le même dans sa structure qu’il soit ici en France, en Chine, en Amérique ou en Angleterre. L’islam est universel. Donc c’est l’islam en France et non pas l’islam de France.

 

On prête au président Macron l’intention de réformer l’organisation du culte musulman en France, qu’en pensez-vous en tant recteur de la Grande Mosquée de Paris ?
L’ensemble des organisations représentatives du culte musulman se réunissent souvent ici à la Mosquée de Paris. Quand je dis l’ensemble, je parle des fédérations nationales gestionnaires de mosquées, dont celle de la Grande Mosquée de Paris (dite FGMP), qui constituent ensemble le CFCM (Conseil français du culte musulman).


Ces organisations ont décidé d’organiser le congrès des musulmans de France qui se déroulera le dimanche 9 décembre à l’Institut du Monde Arabe pour discuter des éléments essentiels d’organisation qu’ils veulent appliquer pour eux-mêmes. C’est d’abord l’indépendance du culte et la non-ingérence de quiconque dans le domaine du culte. Le culte doit être organisé par les musulmans et par nul autre, notamment s’il n’est pas musulman !


Deuxièmement, la loi de 1905, la loi de l’ensemble des religions en France, prône la neutralité de l’État. Il n’a pas à s’immiscer dans la religion ou à vouloir changer cela ou ceci, notamment l’organisation du culte. Il n’est pas compétent pour changer ce que va dire un imam, un khatib, un mouadhen, ou l’organisation des fêtes religieuses. L’État n’a pas à changer quoi ce soit. Peut-être que pour rassurer l’opinion marquée par les attentats terroristes et le radicalisme religieux que nous avons vécus récemment, les décideurs politiques auraient la tentation de vouloir en profiter pour introduire des changements.


Dans un rapport élaboré par Hakim El Karaoui, sont esquissées des pistes pour la réforme de l’organisation du culte musulman en France, peut-on connaître votre position en votre qualité de recteur de la Grande Mosquée de Paris ?
Ce rapport rappelle l’histoire de l’islam, mais aussi des mouvements intégristes, des fondamentalistes de l’islam en passant par les Frères Musulmans, le wahhabisme et le salafisme. Il dissèque l’ensemble de ces influences et comment, venant d’ Arabie et des pays du Golfe, elles se sont introduites en France.


Sa proposition de taxer les produits halal ne réglera rien du tout. Ce n’est pas ça qui arrêtera le fondamentalisme. Avec son idée d’imposer une taxe sur le Hadj, on tombe des nues. Il faudrait alors, en toute justice, imposer la même taxe à ceux qui se rendent à Lourdes, à Rome ou à Saint-Jacques de Compostelle. Et pourquoi pas une taxe aux catholiques visitant le Vatican ? Quelle sera la réaction de  l’Église ? Je ne crois pas que cela soit possible. Tout cela est strictement illégal et hors-la-loi.


Nous pensons que la loi de 1905 est une loi de sagesse, de respect des uns des autres et surtout, une loi favorisant le vivre-ensemble. Une loi qui met tous les cultes sous la même vision républicaine. C’est la séparation de ce qui relève et du culte et de l’État et le non-financement du culte par l’État.


Oui, l’islam a beaucoup souffert du non-financement par l’État alors que les autres cultes ont été financés avant la loi de 1905. Les musulmans trouvent les moyens de financer leur culte en France par eux-mêmes, sans violer la législation française.

 

Quelle est la relation entre la Mosquée de Paris et les différentes organisations représentatives du culte musulman en France ?
La Mosquée de Paris a été créée par la loi de 1921 qui rend hommage à des dizaines de milliers de musulmans morts durant la Première guerre mondiale, c’est la reconnaissance française du sacrifice de tous ces musulmans. À la bataille de Verdun, par exemple, 70 000 musulmans sont morts sur les champs de bataille. J’étais là quand le président Bouteflika, en visite d’État en France, s’est recueilli à leur mémoire en juin 2000, à Verdun.


La Mosquée de Paris représente une symbolique inaltérable du sacrifice des musulmans pour la France. La Mosquée de Paris a une importance historique. Elle a été financée en partie par le Parlement français qui a permis de réunir une somme importante pour lancer les travaux. De nombreux présidents de la République française ont, dès son inauguration, honoré cette institution en y effectuant une visite.


Le réseau des mosquées liées à la Grande Mosquée de Paris constitué en fédération nationale s’appuyant sur douze fédérations régionales. Cette fédération que je préside a été appelée en janvier 2000 avec les autres fédérations musulmanes à constituer le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui a vu le jour en mai 2003 et que j’ai eu l’honneur de présider lors de trois mandats. C’est en son sein que les fédérations musulmanes ont appris à se connaître et à travailler ensemble. Elles sont à peu près huit aujourd’hui qui sont importantes, toutes gestionnaires de mosquées sur le territoire français.


Ces fédérations réunies autour de la Mosquée de Paris ont ainsi décidé de s’organiser et de travailler ensemble pour organiser l’islam par eux-mêmes et pour eux-mêmes.


C’est donc un congrès unificateur de toutes les organisations qui représentent le culte musulman en France qui se prépare ?
Les questions qui seront abordées lors de ce congrès ont toutes pour objet l’organisation du culte musulman et la défense des intérêts des musulmans de France. Il y’a un certain nombre de principes auxquels nous tenons essentiellement. Tout d’abord, œuvrer pour l’unité des musulmans de France en mettant en avant la fraternité et la citoyenneté; ensuite, il y a le respect des lois républicaines et le respect aussi de la laïcité.


Le culte musulman doit être respecté au même titre que les autres cultes. Aujourd’hui nous voyons de nombreuses attaques contre le culte musulman. Les musulmans souffrent de l’opinion générale qui manifeste un sentiment de rejet, un sentiment d’islamophobie. Nos jeunes souffrent beaucoup. On les accuse injustement de beaucoup de choses. Les musulmans de France vivent un climat anxiogène malsain, et je regrette que les pays musulmans ne s’en occupent pas du tout. Ils laissent leurs frères de France sans compassion aucune.


Pouvez-vous nous parler de l’apport de l’Algérie dans l’épanouissement de l’islam en France ?
Nous sommes tout à fait légalistes. La Mosquée de Paris s’inscrit dans la loi du pays. De par son histoire, c’est en Algérie que l’idée d’une mosquée est née. C’est un Algérien, Kaddour Benghebrit, traducteur, qui a sensibilisé le français Lyautey à la construction d’une mosquée à Paris. Cette mosquée à la tête de laquelle se sont succédés plusieurs recteurs et personnalités, dont mon défunt père, Si Hamza Boubakeur, l’ancien ministre Cheikh Abbas, l’ancien membre du Haut Comité d’État, Tedjini Haddam, et moi-même. Je dois vous dire que je suis venu pour une période de six mois, j’en suis à ma vingt septième années à la tête de cette institution emblématique de l’islam en France.


De point de vue de la communauté, l’État fait ce qu’il peut. Dans le domaine social notamment. Nous avons une élite d’ingénieurs, de médecins et d’autres spécialistes. Les Algériens représentent une qualité d’hommes et femmes remarquables et les jeunes encore plus parce qu’ils ont souffert. Du point de vue religieux, il y’a une convention entre l’Algérie et la France sur la formationbet l’encadrement des imams en France.

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